A Bruay, les esprits sont à vif. Si l’exaspération gagne du terrain c’est parce que l’affaire s’enlise. Les reconstitutions ne donnent pas d’éléments nouveaux. Des témoins surgissent sans grand résultat sinon celui d’introduire un peu plus de confusion. Les lettres anonymes inondent le bureau du juge Pascal, qui attend les aveux du notaire et de sa maîtresse, faute de preuves matérielles. On fouille dans la vie privée de Pierre Leroy, on lui prête une vie nocturne peu compatible avec son état. Sa fortune personnelle est rendue publique: un relai de chasse et un voilier dans le port du Touquet. Sur le muret de la maison de Monique Mayeur, des « maos » ont peint: « Arrêtez la coupable », « Bourgeois cochons ». Dans la Cause du Peuple, s’étale ce titre « Le crime de Bruay: il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça ». Pour le journal maoïste, le crime de classe est validé, celui du bourgeois pervers qui abuse des enfants du prolétariat. A l’autre bord, l’hebdomadaire Minute évoque « Bruhaine-en-Artois ». Des cailloux sont lancés contre la maison Mayeur. Des manifestations mobilisent plusieurs pelotons de CRS. La France est coupée en deux.
Le 18 juillet, (…) la nouvelle tombe. La chambre d’accusation de la cour d’appel d’Amiens répond favorablement à la demande de mise en liberté du notaire. Deux jours plus tard, c’est la cour de cassation Douai qui dessaisit le juge Pascal et transfert le dossier à Paris. Sur le terrain vague c’est la stupeur et la colère. Une marche sur Béthune est organisée et une autre plus tard à Paris. Entre-temps des « comités Vérités et Justice » sont organisés un peu partout en France par les « maos ». A Bruay, ils éditent un petit journal, Pirate, qui est diffusé par la nouvelle agence de presse des « maos » qui prend le nom de « Libération ». Mais l’affaire du titre de la Cause du Peuple a provoqué des remous dans l’organisation. Même Sartre n’a pas apprécié. Les « maos » doivent faire le constat de l’échec de leur propagande. Rendre compte de la parole du peuple n’est pas chose facile. Passer de la propagande à l’information partisane nécessite un savoir-faire. Il faut un « France-Soir rouge ». Moins d’un an plus tard, le quotidien Libération est créé. Sur l’affaire de Bruay, la GP est divisée. La greffe ouvrière n’a pas pris. C’est le paradoxe de l’extrême-gauche que d’avoir voulu concilier la lutte prolétarienne avec les multiples causes qui émergent au gré des revendications d’une société qui ne se reconnaît déjà plus tout à fait dans la classe ouvrière mais adhère encore à son image évanescente.
(…)
Après des années de procédures, l’affaire est prescrite en 2005. La plupart des protagonistes sont décédés. Le meurtrier de la petite Brigitte reste inconnu. L’affaire de Bruay-en-Artois entre dans l’histoire. Elle aura constitué une butte témoin d’une société en voie de disparition; un effacement qui se produit sous le double coup des mutations sociales des « Trente glorieuses » et la crise qui s’abat sur le paysage industriel français dont la disparition de la mine fut le signe avant-coureur. »
Pascal Cauchy, La Nouvelle revue d’Histoire, 2012.
CGT (Confédération f générale du travail) – «Всеобщая конфедерация труда», крупнейшее французское профсоюзное объединение, созданное еще в 1895 г. и исторически связанное с Французской коммунистической партией.
CRS (Compagnies f pl républicaines de sécurité) – «Республиканские роты безопасности», специализированное подразделение Национальной полиции Франции. Созданы в декабре 1944 г. Применяются для поддержания или восстановления общественного порядка и общей безопасности, иногда используются при спасательных операциях.
511989. L’affaire du voile islamique
Durant l’automne 1989 éclate l’affaire du « voile islamique ». Dans un collège de Creil, trois jeunes filles musulmanes sont exclues des cours car elles ont décidé de porter le voile islamique. L’affaire secoue la France, car elle pose à la fois la question de la capacité d’accueillir une population extra-européenne et à rendre compatible son modèle politique fondé sur la séparation de la pratique religieuse de l’environnement public (la « laïcité »). A l’étranger, l’affaire fait grand bruit, surtout dans le monde musulman, alors qu’au même moment paraissent les Versets sataniques de Salman Rushdie. Après des années de controverses, une loi est promulguée en 2004, interdisant les signes religieux « ostensibles » dans les établissements scolaires. Depuis, bien d’autres controverses ont surgi comme celle sur la nécessité pour les musulmanes de fréquenter des piscines hors de la présence des hommes ou de porter le « tchador » lors des bains de mer sur les plages publiques.
« Rappelons quelques faits, pour bien comprendre de qui et de quoi l’on parle. Depuis plusieurs années, des élèves de confession israélite membres de l’Association de maison d’enfant (A.M.E.) du château de Laversine, proche de Creil, ne viennent pas en classe le samedi matin et, en septembre, ne rentrent qu’une dizaine de jours après tout le monde. Considérant que la situation n’avait que trop duré, M. Chénière, principal du collège, et avec lui le conseil d’administration réuni en juin 1989, avaient décidé que l’absence aux cours pour raisons religieuses ne serait plus tolérée à la rentrée scolaire suivante.
C’est alors que certains professeurs évoquèrent le cas de trois jeunes filles porteuses d’un « voile »: si l’on demandait à des enfants juifs de respecter lе cadre laïque des établissements scolaires, il fallait agir de même vis-à-vis de ces jeunes filles musulmanes…
Les vacances d’été passent, la rentrée arrive. Je dois avoir Fatima A. dans une de mes classes; je ne la verrai pas avant le 9 octobre ! Elle et sa sœur (sur la demande de leur père ?) refusent de reprendre les cours. Finalement, trois semaines après la rentrée, une note de service nous apprend qu’il faut refuser en classe tout élève se présentant avec un « voile ». Quelques jours après, Samira S. est envoyée dans le bureau du principal, qui la fait, après une âpre discussion, raccompagner par une surveillante jusque chez elle avec un mot avertissant la famille de la nouvelle situation: l’élève n’est pas renvoyée du collège au sens strict du terme (seul le conseil de discipline peut prendre une telle décision, insistons sur ce point.)
Résumons: des élèves reprenant les cours quand ils le veulent bien, s’abstenant systématiquement le samedi matin, d’autres venant avec un voile et refusant de rentrer en classe (pour deux jeunes filles).
Cette affaire a certes fait surgir un certain refoulé, mais aussi un nombre surprenant de contradictions. Les jeunes filles concernées, les premières, ne semblent pas avoir toujours un comportement logique quant à leurs convictions: elles veulent, disent-elles, vivre pleinement leur religion, en bonnes fondamentalistes qu’elles paraissent être. Elles respectent certains préceptes essentiels du Coran, mais si Samira S. refuse la reproduction de son image, en revanche elle laisse voir le bas de ses jambes, des chevilles jusqu’à mi-mollet, suivant la mode actuelle. Les deux sœurs A. se font faire des photos d’identité sans « voile »; posent pour les photographes, se laissent filmer par les caméras. Toutes trois sont dans une école mixte, suivent les cours d’E.P.S. »
le voile islamique – хиджаб (араб.)
Versets m pl sataniques de Salman Rushdie – «Сатанинские стихи», скандально известный четвёртый роман британского писателя индийского происхождения Салмана Рушди, изданный в 1988 г. и посвященный эмигрантам и эмиграции. Автор проводит в нем мысль о невозможности ассимиляции в новой культуре и неизбежности возвращения к историческим корням.
E.P.S. (éducation physique et sportive) – школьные занятия по физической культуре.
IXLa France au XXIe siècle
52Les émeutes de 2005
Le 27 octobre 2005, deux adolescents originaires de Clichy-sous-Bois, dans la banlieue de Paris, qui fuyaient des policiers, trouvent la mort par électrocution dans un local technique protégé. Cet événement est à l’origine d’une flambée de violences dans les banlieues parisiennes, puis dans de nombreuses villes françaises. Les émeutes durent trois semaines, elles font 56 blessés parmi les policiers et deux morts. Près de 3000 arrestations sont opérées. La dégradation de la situation entraîne l’instauration de l’état d’urgence dans le pays. Le 14 novembre 2005, le président Jacques Chirac s’adresse directement au pays. Présentée à la radio et à la télévision, son allocution est suivie par un auditoire estimé à environ 20 millions de personnes.
« Mes chers compatriotes,
Les événements que nous venons de vivre sont graves. Ils ont entraîné des drames humains et des pertes matérielles considérables. La justice est saisie: elle fera toute la lumière, elle sera sans faiblesse. Les procédures d’indemnisation seront accélérées. A toutes les victimes, à leurs familles, je veux dire ma peine et la solidarité de la nation tout entière.
Ces événements témoignent d’un malaise profond. Certains ont provoqué des incendies dans les quartiers mêmes où ils habitent, ils ont brûlé les voitures de leurs voisins, de leurs proches, ils s’en sont pris à leurs écoles, à leurs gymnases.
C’est une crise de sens, une crise de repères, c’est une crise d’identité.
Nous y répondrons en étant fermes, en étant justes, en étant f