Глава IVSur la polémique entre albert mathiez et les historiens soviétiques[380][К вопросу о полемике Альбера Матьеза с советскими историками]
Albert Mathiez (1874–1932), grand historien français, fondateur de la Société des études robespierristes et des Annales révolutionnaires, appelées quelques années plus tard Annales historiques de la Révolution française, occupe une place particulière dans le panthéon des chercheurs de la Révolution française. Jean-René Suratteau avait raison de citer son nom parmi les cinq grands historiens de la Révolution française du XXe siècle, à savoir, Alphonse Aulard, Georges Lefebvre, Albert Soboul et Jaques Godechot[381]. On a beaucoup écrit sur lui, immédiatement après son décès; nous possédons aussi une excellente étude biographique rédigée par l’historien américain James Friguglietti[382]. La contribution de Mathiez aux études révolutionnaires est sans aucun doute plus qu’appréciable, et la traduction de ses livres en diffé rentes langues étrangères, lors de sa vie, ainsi que leurs rééditions après son décès, même en russe[383], en sont la meilleure preuve. Comme l’a remarqué à juste titre Florence Gauthier, il «rencontra, malgré sa mort prématuré, une audience internationale»[384].
Or, en dépit de ces circonstances, le chemin parcouru par Mathiez a été très épineux. Dans la mémoire de ses contemporains, il appara’t comme un homme de principe, indépendant, tenace et intransigeant, doté d’une mentalité originale et d’un caractère irascible et imprévisible. Ce n’est certainement pas par hasard que quelques-uns de ses confrères et de ses élèves l’ont qualifié d’un «paysan du Danube»[385]. Il me semble intéressant de me référer à ce propos au témoignage de Louis Gattschakl, son collègue américain: «J’ai fini par me rendre compte qu’il y avait deux Mathiez. L’un était le gentleman bienveillant qui prenait plaisir à une agréable conversation et à la bonne chère et qui se donnait une peine infinie pour Ktre utile aux gens qui avaient besoin d’aide. L’autre était l’érudit vigoureux, véhément, incapable de tolérer une sottise ou ce qu’il regardait comme sottise»[386]. Autrement dit, Claudine Hérody-Pierre avait certainement raison de l’avoir qualifié d’un «professeur autant ha* que vénéré»[387]. Aussi, ce n’est pas étonnant que sa vie ait été semée d’embûches car sa personnalité extraordinaire irritait toutes les médiocrités qui se trouvaient dans son entourage. On ne l’invita à la Sorbonne qu’en 1926, après le départ de Philippe Sagnac pour l’/gypte.
/prouvant de sincères sympathies pour les idées socialistes, Mathiez accepta avec joie la Révolution de Février en Russie, et la Société des études robespierristes salua «avec enthousiasme la victoire de la Douma russe contre le despotisme»[388]. Il approuva aussi la Révolution d’Octobre et adhéra en 1920 au Parti communiste français. Dans ces conditions, Mathiez fit beaucoup pour établir des relations amicales avec ses coll è-gues soviétiques, y compris les grands historiens russes non marxistes comme Eugène Tarlé et Nikola* Kareiev[389]. Il faut absolument noter que Mathiez n’était pas une exception dans ce domaine, et s’inscrivait dans une longue tradition. Mentionnons les noms de ses collègues français, tels Gabriel Monod et Henri Sée, qui avant et après lui, s’adressaient constamment à Kareiev en lui demandant de collaborer aux éditions scientifiques françaises. La lettre de Monod du 4 février 1907 est caractéristique: «Je viens vous demander si vous ne conna’triez pas un jeune professeur russe, sachant très bien le français, qui pourrait nous fournir tous les deux ans un Bulletin historique d’une vingtaine de pages seulement» sur les «principalespublications soit comme documents, soit comme ouvrages parus en Russie»[390]. En recevant l’«amicale acceptation» de sa proposition de la part de Kareiev lui-même, Monod l’a remercié: «Je suis trop heureux de vous avoir pour collaborateur au Bulletin de la Revue et j’attends avec impatience votre prochaine contribution»[391]. Sée avait également demandé à Kareiev sa «bonne collaboration» à la Revue d’historie moderne en soulignant: «Vous devez avoir certainement des études de nature à intéresser vivement nos lecteurs, par exemple, en ce qui concerne les études d’histoire de France dans la Russie d’aujourd’hui»[392].
Quant au profond respect de Mathiez envers Kareiev, qu’il caractérisait d’un «doyen des historiens russes […] qui a consacré sa longue et belle vie à l’étude de notre XVIIIe siècle et notre Révolution»[393], on peut en juger d’après la lettre de Gustave Laurent, directeur des Annales historiques de la Révolution française, adressée à l’historien russe le 14 septembre 1926: «Mon co-directeur et ami M[onsieur] Albert Mathiez, me demande de bien vouloir insister auprès de vous qui appartenez, d’ailleurs, au Comité directeur de notre revue, pour vous prier de bien vouloir renouveler vos abonnements de 1925 et 1926 que nous n’avons pas reçus et dont vous trouverez, sous ce pli, la facture […] Aussitôt votre réponse et dns que nous serons certain que l’envoi de nos fascicules vous arrive régulièrement, nous vous expédierons tous ceux qui vous manquent, avec le volume de la Correspondance de Robespierre que vient de para’tre et que nous offrons cette année, à nos fidèles abonnés»[394].
Aprns la révolution de 1917 Mathiez a été l’initiateur d’une très fructueuse coopération avec les historiens marxistes soviétiques, comme Nikola «Loukine, Grigori Friedland et d’autres, dont il avait fat h connaissance personnelle dans les années vingt lors des missions scientifiques de ces derniers en France. Certes, il avait le grand mérite de continuer les bonnes traditions des acquis de la science historique en Russie dans le domaine des études révolutionnaires. Mais, dans ce cas, il s’agissait principalement de la science historique marxiste, et il a atteint des résultats évidents et indéniables en invitant Kareiev, Loukine et d’autres à collaborer aux Annales historiques de la Révolution française, en dépit de leurs différentes orientations scientifiques[395]. Il ne ménaga pas non plus ses efforts personnels, malgré des possibilités plus que limitées (il ne savait pas le russe), en tâchant de présenter lui-même dans sa revue les études de ses collègues marxistes[396].
Les historiens soviétiques, à leur tour, ont été intéressés à améliorer leurs relations avec leurs collègues français, surtout avec ceux de gauche, dont Mathiez était le représentant le plus éminent. Du côté soviétique, les mérites de Tarlé sont évidents dans l’approfondissement des relations amicales entre les historiens des deux pays. Sa correspondance de cette époque prouve l’attitude aimable des historiens français à son égard et celui des autres historiens soviétiques. Dans son compte rendu sur l’une de ses missions scientifiques en France, il écrivait le 4 décembre 1924:
«L’attitude générale du monde scientifique envers les savants qui arrivent de la Russie Soviétique est au plus haut point prévenante et bienveillante. Cette attitude est surtout évidente de la part des représentants du côté gauche de l’historiographie française: il me faut mentionner les noms d’Aulard, de Mathiez et, enfin, celui de l’éminent Georges Renard, qui occupe maintenant la chaire d’histoire du travail au Collè ge de France, ancien communard de l’époque de la Commune de Paris de 1871 (il a maintenant 76 ans)»[397].
Il avait souligné ce шкше fait dans sa lettre datée du 31 août 1924 à Olga Tarlé, sa femme: «En somme, les savants franç ais m’accueillent ici parfaitement»[398].
Tarlé se trouvait en trns bons termes avec les historiens français. En tant que l’un des co-rédacteurs, avec Fédor Ouspenski, des Annales, revue sur l’histoire universelle, il y organisa la publication des articles sur les éminents historiens français et l’historiographie française [399], ainsi que des comptes rendus sur leurs livres[400]. Aulard, son ami, le qualifia en novembre 1924 de «notre brillant collègue», d’un chercheur qui se trouvait parmi les «historiens vraiment remarquables»[401]. Il l’invitait assidûment à Paris pour faire des cours au Collège Libre des Sciences Sociales, dont il était le vice-président. Le 10 octobre 1924, Aulard écrivit à Tarlé, qui se trouvait à Paris:
«Nous nous occupons, en ce moment, d’organiser le tableau des cours de notre année scolaire. Et conformément à la tradition de notre Collège, qui a toujours consisté à faire appel à des collaborations étrangères, nous vous serions très reconnaissants, de nous accorder votre précieuse collaboration. Puis-je vous prier de nous faire conna’ tre si nous pourrions y compter?