Историки Французской революции — страница 22 из 78

[460]. James Friguglietti est demeuré bien longtemps le seul historien qui l’a discuté dans la mesure de ses possibilités[461]. On doit obligatoirement citer aussi les noms de Tamara Kondratieva, de Yannick Bosc et de Florence Gauthier qui ont récemment discuté cette question dans leurs études citées, mais de façon trop brève.

La réhabilitation de Mathiez

La situation était encore pire dans l’historiographie soviét ique. Les historiens avaient intérêt à éviter l’interprétation des désaccords de leurs prédécesseurs avec Mathiez et à condamner à l’oubli les péripéties en relation avec cette polémique. Plusieurs causes expliquent cela. L’une de celles-ci a été l’évolution des conceptions des historiens marxistes soviétiques, y compris ceux qui avaient jadis pris part à cette discussion. Sous l’influence des changements positifs ayant ébranlé l’Union Soviétique après la mort de Staline et des brusques tournants des destin ées personnelles de quelques-uns d’entre eux (détention, exil, exécution de leurs collègues, etc.), leur position envers leurs confrères étrangers, et surtout ceux de gauches avait subi des profondes modifications et s’amé liora considérablement. Cette circonstance est tout particulièrement visible dans l’émergence d’une attitude respectueuse envers la mé moire de Mathiez, même de la part de ses anciens opposants. Du coup, ils préférèrent recouvrir d’un voile de silence leurs dissentiments d’autrefois. Il est caractéristique qu’au début des années soixante, les éditeurs des O uvres choisies de Loukine (Albert Manfred, Victor Daline et d’autres) n’ont inclus dans le premier tome de cette édition que les recensions qu’il avait rédigées sur les livres de Mathiez avant la rupture de leurs relations[462]; ils se sont abstenus de republier les articles de leur mentor contre Mathiez, en préférant de ne citer que leurs titres dans la bibliographie de ses nuvres[463].

Le cas de Victor Daline est à cet significatif. Elnve de Loukine dans les années vingt-trente, étant alors jeune et fasciné par la nouvelle méthodologie marxiste, il se dressait résolument contre chaque écart envers l’interprétation marxiste de la Révolution française[464]. Il n’est pas étonnant qu’il ait signé, suivant ses convictions politiques et «scientifiques», la lettre collective de ces collègues adressée à Mathiez. Or, dans les années soixante-dix – quatre-vingt, dans ses souvenirs, ainsi que lors de ses discours oraux et de ses conversations personnelles avec moi, Daline rappelait toujours avec plaisir et fierté ses rencontres et conversations avec Mathiez lors de sa seule mission scientifique en France en 1929–1930. Dans ses souvenirs il écrivait de lui: «La plus remarquable de mes rencontres à Paris fut celle avec Mathiez […] Après son cours [’ la Sorbonne. – V. P.] il nous a invités [ses deux collègues soviétiques et lui-même. – V. P.] dans un petit restaurant italien dans le Quartier Latin. Il parlait sans cesse, presque deux heures, et nous l’écoutions avidement» [465]. En se rappelant ses quelques autres rencontres avec lui, Daline regrettait profondément d’avoir manqué la «remarquable possibilité de consulter Mathiez sur les problèmes de la Révolution française» car à cette époque il s’occupait d’un autre thème, l’histoire du mouvement socialiste français au début du XXe siècle[466].

Quelques jours avant son décès, lors de la cérémonie officielle de la réception du diplTime d’honoris causa de l’Université de Besançon, Daline a avoué qu’il reconnaissait Mathiez comme l’un de ses ma’tres, au même titre que Loukine et Viatcheslav Volguine[467]. /tant un homme de principe, il ne cachait certainement pas ses désaccords scientifiques avec lui. En qualifiant Mathiez de «brillant historien de la Révolution française»[468], il lui reprochait surtout son «extrême robespierrisme»[469]. Il ne partageait pas non plus son appréciation des mouvements de septembre 1793 de la «ré-volution hébertiste»[470]. D’ailleurs c’est Daline qui a rédigé des articles sur Mathiez dans les prestigieuses encyclopédies soviétiques[471]. Remarquons aussi qu’aprns la mort de Manfred, étant responsable de l’Annuaire d’études françaises, il y a placé une rubrique à la mémoire de Mathiez à l’occasion du 50e anniversaire de son décris, onjil a publié sa lettre inédite à Jean Longuet et les souvenirs de Jacques Godechot sur lui[472]. Il y a lieu aussi de rappeler qu’il a inséré la photo de Mathiez dans son livre sur les historiens français[473]. En 1979, quand le manuscrit de ce livre était déjà prêt pour la publication, il m’a montré dans le métro de Moscou quelques photos des historiens français, celles de Lucien Febvre, de Marc Bloch, de Georges Lefebvre, d’Albert Soboul, de Fernand Braudel, qu’il allait y publier. Je lui ai demandé s’il n’avait pas l’intention d’y insé rer aussi la photo de Mathiez. Acceptant immédiatement ma proposition, Daline m’a remercié, ce qui prouve son sincrire et immense respect pour lui.

Il me faut remarquer aussi un autre fait qui prouve irréfutablement son attitude respectueuse. Si Manfred a jadis, à l’époque stalinienne, qualifié Mathiez dans son livre sur la Révolution française d’«historien bourgeois radical»[474], ce qui a suscité l’indignation et la critique de Jean Dautry[475](qui se référait à la traduction française de ce livre[476]), Daline, aprns la mort prématurée de Manfred, en charge de la réédition de ce livre, a remplacé cette définition par celle d’un «historien démocrate»[477].

Il faut aussi avouer honnêtement que lors de nos multiples et différentes conversations de 1978 à 1985, Daline ne s’est jamais permis de parler de cette polémique ni même d’y faire la moindre allusion. C’est l’ l’une des pages les plus tristes de sa biographie qu’il a préféré entièrement omettre, même dans son livre sur les historiens de la France. Une fois seulement, au mois de juillet 1983, Daline m’a dit avec une grande douleur qu’il partageait jadis la position négative de Loukine envers Tarlé[478]. Je ne doute pas qu’il regrettait profondément aussi sa participation à la campagne contre Mathiez.

Le silence absolu de mes pré décesseurs aurait pu être influencé par leur manque de volonté de critiquer les vues des participants sovié tiques à cette polémique. Même ceux d’entre eux qui ont travaillé sur la carrière scientifique de quelques-uns des opposants de Mathiez ont préféré passer sous silence ce désagréable épisode de leur activité?. Beaucoup d’entre eux, en dépit des degrés différents d’implication dans cette affaire, ont été quelques années plus tard victimes des répressions staliniennes. On a fusillé Friedland en 1937; Loukine a été arrêté en 1938 et mort en prison en 1940; Daline, Starosselski, Lotté ont été envoyés en Sibérie au cours des mêmes années. En outre, il est bien évident que les historiens soviétiques de l’époque post-stalinienne comprenaient très bien que la sévère critique des vues de Mathiez par leurs pré déces-seurs, et encore plus les accusations politiques injustifié es dont ceux-ci l’avaient chargé, n’avaient pas résisté à l’épreuve du temps. [479]

Regards post-soviétiques

Pour conclure je souhaiterais attirer l’attention sur l’historiographie post-soviétique. Aprns les changements positifs survenus dans l’ancienne URSS et aprns son éclatement, quelques auteurs russes, se référant à la conduite de leurs prédécesseurs des années vingt-trente ou en invoquant leurs discours contre les historiens non marxistes (notamment contre Tarlé) et soulignant leur conception de la dictature des Jacobins (qui glorifiaient Robespierre et approuvaient sans réserve tous les excns de la Révolution française) ont évoqué avec ironie de leur destin tragique lors de la terreur stalinienne[480]. Il me semble qu’ils n’ont probablement pas pris en considération qu’il s’agissait de la mentalité collective d’une génération entinre, au dessus de laquelle s’est dressé progressivement le glaive stalinien.

Quant au silence de mes prédécesseurs, il faut aussi prendre en considération une circonstance importante. Dans les années soixante-quatrte-vingt, la situation en URSS n’était pas favorable à la discussion des positions implacables contre Mathiez dans le cadre des réalités soviétiques des années vingt-trente. Comme à l’époque de la «stagnation», nous nous trouvions toujours sous la domination de l’idéologie communiste, de ce fait les observations critiques de Mathiez conservaient entinrement leur actualité d’une certaine manière. Une seule fois, la critique de Mathiez sur l’atmosphnre politique en URSS dans les années vingt-trente fut mentionnée. Certes on l’a fait, comme dans le passé, avec un ton trns particulier. Dans la biographie de Loukine, Ilya Galkine, son disciple, en s’abstenant de discuter les causes de cette polémique, a, par contre, de avancé