Историки Французской революции — страница 48 из 78

Ваш

А. Манфред

12 декабря 1974 г.

Л. 18–19.


17

[1976 г.] Дорогой друг!

29 сентября, когда Вы должны были вернуться в Москву из Бухары[867], я звонил несколько раз в отель «Белград-2», где предположительно Вы должны были остановиться, но не смог установить с Вами контакта: либо Вас они не знали, либо давали номера телефона, по которым отвечали совершенно другие лица.

Тем не менее от Чубарья[на] я получил сведения, что Вы весьма успешно провели время в Варне, председательствовали там на заседании и активно выступали. Все это хорошие признаки, свидетельствующие о добром состоянии Вашего здоровья и о том, что эти далекие путешествия пошли Вам на пользу.

Я надеюсь Вас встретить через две недели в Варшаве, поэтому не касаюсь подробно других вопросов, но об одном мне хочется сказать уже сейчас – меня заинтересовала та новая Ваша книга, о которой Вы писали в последнем письме[868]. Мне кажется, что ее будет легче перевести и издать у нас в стране, чем работы по истории Великой французской революции.

Итак, через скорое время мы встречаемся с Вами в Польше.

Дружески жму Вам руку.

Ваш

А. Манфред Л. 23.

Глава IVLes lettres de Jacques Godechot a Albert Manfred et aux responsables de l’Annuaire d’etudes françaises[869][Письма Жака Годшо к Альберту Манфреду и ответственным «французского ежегодника»]

Au mois d’octobre 2012, j’ai eu la possibilitй de travailler dans les archives personnelles d’Albert Manfred (1906–1976), l’un des plus éminents historiens soviétiques. Leur richesse m’a tout simplement stupéfait;parmi ses innombrables correspondants figuraient non seulement des historiens soviétiques et étrangers mais également d’éminents écrivains soviétiques et des hommes politiques français, comme Maurice Thorez, Georges Cogniot, Jacques Duclos[870]. De toutes ces relations, celles entretenues avec les Français ont peut-Ktre été les plus constantes. Le fonds d’archives contient de la correspondance entre Albert Manfred et Fernand Braudel, Albert Soboul, Claude Willard, Jean-Baptiste Duroselle, Jean Bruhat et beaucoup d’autres. Pour l’historien de la Révolution, les lettres de Jacques Godechot (1907–1989) se distinguent par leur grand intérêt.

J’avais commencé à lire les études d’Albert Manfred sur la Révolution française et le Premier empire lors de mes études en deuxième année de l’Université d’/tat d’Erevan. J’avoue que c’est son nuvre qui m’a fait découvrir la Révolution française, et m’a incité, aprns mes études universitaires, à consacrer mes recherches aux problèmes de l’époque révolutionnaire. À vrai dire, étant encore étudiant, je n’avais qu’un seul rêve, celui de continuer mes recherches dans ce domaine sous sa direction. C’est pourquoi, la quatrième année à peine terminée (" cette époque, la formation se déroulait durant cinq ans), je suis parti pour Moscou dans le but de le rencontrer. Par un curieux hasard, j’ai eu avec lui une seule rencontre, le 14 juillet 1976, à l’Institut d’histoire universelle de l’Académie des sciences de l’URSS, ou,il travaillait; c’était cinq mois avant son décès. Dès qu’il a compris pourquoi j’étais arrivé d’Erevan à Moscou, il s’est tourné vers moi et a commencé à parler en français. Après m’avoir posé nombre de questions, il a consenti à devenir mon futur ma’tre. Cependant, le 16 décembre, quatre jours avant sa participation aux élections de l’Académie soviétique, dont les membres rejetaient toujours sa candidature, il est décédé dans l’un des hôpitaux de Moscou. Ce fut juste après son décès que les revues et journaux soviétiques l’ont qualifié de «plus grand historien» et de «plus grand savant» soviétique. C’était la réalité soviétique. J’ai continué mes études à l’Institut d’histoire universelle, à partir de 1978, sous le patronage de Victor Daline, son meilleur ami.

À la différence d’Albert Manfred je n’ai jamais eu le plaisir de rencontrer Jacques Godechot car, en ex-URSS, les jeunes chercheurs n’avaient pas le droit de partir en mission scientifique pour les pays «capitalistes». Albert Soboul, dont j’avais eu la chance de faire la connaissance au mois de juin 1978, lors de son séjour à Moscou pour prendre part aux travaux du VIIIe Colloque des historiens de l’URSS et de la France, a bien tenté de m’inviter à la Sorbonne, mais en vain. Juste après son arrivée, j’ai pu discuter avec lui à l’hôtel de l’Académie soviétique, ouge lui ai précisé que je m’occupais de l’histoire politique du premier Directoire. Après quelques échanges, il a conclu: «Le Directoire est un bon sujet, mais il faut que vous travailliez à Paris. Je vous enverrai un visa personnel, mais vous devez travailler avec Suratteau, et non pas avec moi».

Je n’ai pu davantage rencontrer Jacques Godechot, maïs j’ai pu entretenir une correspondance suivie avec lui à partir de 1982. Dès le début de ma carrière scientifique, à partir de janvier 1978, j’étais diij" initié à son nuvre majeure. Sur les conseils de Victor Daline, j’avais commencé à étudier l’histoire du Directoire par les livres d’Albert Mathiez et de Georges Lefebvre et, quand j’ai ouvert dans l’une des bibliothèques moscovites Le Directoire de Mathiez, j’ai aperçu pour la première fois le nom de Jacques Godechot, qui avait pris soin de publier ce livre après la mort de son ma’tre[871].

Ses livres, ses articles historiographiques dans la Revue historique et ses recensions innombrables dans les AHRF ont laissé une empreinte ineffaçable sur moi. Ils m’ont également beaucoup aidé à m’orienter dans le domaine le plus difficile de la science historique, eelu i d e l’historiographie. J’ai également été frappé par son indépendance d’esprit; il n’a jamais adhéré à aucun parti, ni à aucune «école» historique; cela m’a beaucoup séduit[872]. Aujourd’hui, sa conduite ne m’étonne plus, car il avait été l’élnve d’Albert Mathiez, qu’il a plus tard qualifié de «paysan du Danube»[873].

Au début des années 1980, Victor Daline m’a conseillé d’envoyer à Jacques Godechot les tirés-à-part de mes premiers articles sur le Directoire, ce que j’ai fait. Et ce grand historien répondait sans tarder, à chacun de mes envois, à chacune de mes lettres, en me remerciant, en m’encourageant, ainsi qu’en approuvant ma collaboration possible avec les AHRF. Il exprimait aussi des jugements impartiaux à propos de mes articles, d’aprns leurs résumés en français, qu’il lisait, comme il l’avouait, «avec plaisir», précisant en même temps, qu’il était déj’ au courant de mes études aprns les avoir lues dans les volumes de l’Annuaire d’études françaises, qu’il possédait grâce à Victor Daline. Si nécessaire, Jacques Godechot discutait avec moi de déférents problèmes de l’époque directoriale, ce dont je lui étais trns reconnaissant, et parfois, il me donnait des conseils toujours pertinents. En 1988, quand notre correspondance touchait son livre sur Le comte d’Antraigues, il me conseilla dans sa lettre du 20 juin, de chercher dans les archives sovi étiques des documents sur l’activité du compte d’Antraigues: «Ainsi que vous avez pu le constater, écrivait-il, je n’ai fait, moi-même, aucune recherche dans les archives russes, je m’appuie sur celles de Pingaud et de Bouloiseau. Mais je suis persuadé qu’il existe dans les archives soviétiques encore de nombreuses lettres du comte d’Antraigues, puisqu’il a été au service de la Russie de 1793 jusqu’à sa mort en 1812. La découverte de ces lettres pourrait compléter et sans doute modifier le portrait que j’en ai fait»[874]. Dans ces conditions et en dépit de la distance existant entre nous, j’ai pu considérer Jacques Godechot comme l’un de mes ma’très, au mme titre qu’Albert Manfred et Victor Daline[875].

Victor Daline estimait profondément et sincèrement Jacques Godechot, avec qui il se trouvait, à son tour, en correspondance: il l’avait vu seulement deux fois, lors de deux visites de son collngue français en URSS, en 1969 et en 1970, quand le doyen de Toulouse y était venu pour participer aux travaux du IVe Colloque des historiens de l’URSS et de la France à Erevan, et à ceux du XIIIe Congrus international des historiens de Moscou. La sortie de Victor Daline de l’URSS était interdite, car il avait été l’une des victimes de la «terreur stalinienne», ayant passé les meilleures années de sa vie (presque dix-sept ans) dans ees camps staliniens. D’ailleurs, étant l’un des fondateurs de la science historique soviétique, il n’imaginait point l’interpré tation de l’histoire de la Révolution française hors de la méthodologie marxiste. Cependant, quand je répétais en l’occurrence et sans aucune hésitation, que je considérais Jacques Godechot comme l’un de mes ma’ tres, il approuvait ma prise de position.

Victor Daline envoyait constamment ses livres et ses articles, ainsi que les livres de ses collègues soviétiques, à Jacques Godechot. Et l’historien français regrettait toujours dans ses ré ponses de ne pas ma’triser la langue russe. Il m’écrivait bien souvent la mme chose, parfois répétant à ce sujet, presque littéralement, les mots d’Albert Mathiez. Par la lecture des résumés français des livres et des articles de ses collègues soviétiques, il demeurait cependant au courant des recherches historiques en URSS.

Certes, les historiens soviétiques ne partageaient pas entièrement les vues de Jacques Godechot, surtout sa théorie de la «révolution atlantique», mais en dépit de cela, ses livres lui ont assuré un vrai succns en ex-URSS. D’ailleurs, la majorité des historiens soviétiques de la Révolution française, dont Anatoli Ado, reconnaissaient que l’approche de Jacques Godechot à l’égard de l’époque révolutionnaire était, dans son ensemble, assez proche de celle des historiens marxistes. C’é tait notamment l’attitude de Victor Daline, qui a présenté les