érabilité des sentiments, l'éternelle inviolabilité d'un pacte… De l’autre, les nouvelles doctrines dans lesquelles les liens du mariage et de la famille sont déliés, l'irrésistible puissance des passions – reconnue comme ayant droit, l'indépendance du passé admise et partant de la facultative des engagements.
D'un côté la femme – traînée au pilori, presque lapidée pour ce qu'on appelle la trahison – sans approfondir les causes. – De l’autre – la jalousie même mise hors la loi – comme un sentiment égoïste, maladif, propriétariste, romantique qui altère et empoisonne les notions simples et naturelles.
Où est la vérité? Au moins la diagonale. Il y a déjà vingt trois ans que je cherche un chemin pour sortir de ces contradictions, et c'est encore en 1843 que je tâchais pour la première fois à m'orienter dans ces ténèbres.
Nous sommes très courageux dans la négation et toujours prêts à jeter à l'eau chaque idole. Mais les idoles de la famille et de la vie domestique sont «waterproof» et reviennent toujours à la surface. Ils n'ont pas de sens quelquefois – mais ils ont la vie dure; les armes que l'on a employées contre eux – glissèrent sur leur écaille, les renversèrent, les abasourdirent – mais ne les tuèrent pas.
Jalousie… Fidélité… Pureté… Innocence… Trahison… Sombres puissances, verbes terribles au nom desquels coulèrent des torrents de sang, des torrents de larmes… Ces mots nous font frémir comme le souvenir de l'inquisition, de la torture, de la peste – et ils sont suspendus sur notre tête comme le glaive de Damoclès – et c'est sous ce glaive qu'a toujours vécu et vit encore la famille.
Il n'est pas facile de les mettre à la porte par des négations injurieuses. Ils restent derrière le coin et sommeillent – tout prets d'accourir à la première alarme – et dévorer tout – tout ce qui est près – tout ce qui est loin… anéantir nous-mêmes.
La bonne intention d'éteindre à fond ces incendies – à ce qu'il paraît n'est pas possible, il faut peut-être se résigner à diriger le feu d'une manière humaine, à le dompter et dominer. On ne peut également ni'finir avec les passions – par la logique, ni les faire acquitter par les tribunaux. Les passions sont des faits et non des dogmes – on peut sévir contre elles, mais non déraciner.
La jalousie, plus encore, jouissait des droits exceptionnels. Au lieu de frein et de résistance – elle ne trouvait qu'encouragements et sympathie. Par sa propre force – passion violente, ardente – au lieu d'être domptée – elle était poussée en avant par le chœur.
La doctrine chrétienne – qui à force de mépris et de haine pour le corps – met si haut tout ce qui est charnel, le culte aristocratique de la race, de la pureté du sang – développèrent jusqu'au monstrueux la notion de la suprême offense, de la tache irréparable. La jalousie reçut en main le jus gladii, le droit de juger dans sa propre cause et de se venger. Elle devint un devoir de l’honneur, presqu'une vertu. Tout cela ne peut soutenir la moindre critique – mais ce qui est très important – en dehors de cela il reste toujours quelque chose de réel, un sentiment de douleur, de malheur, sentiment élémentaire – commel'amour même, faisant face à toute négation – irréductible, invincible.
Nous voilà encore une fois devant les fourches Caudines des antinomies. Le vrai et le faux sont de deux côtés. Un entweder – oder courageux n'avance en rien la question. Au moment où l'on croit avoir fini d'un de deux termes – par la négation… il réapparaît d'un autre côté, comme la nouvelle lune – après le dernier quart.
Hegel faisait absorber les antinomies dans l'esprit absolu… Proudhon – dans l'idée de la justice.
L'absolu est un dogme philosophique, la justice peut sévir, condamner – mais n'a réellement pas de prise sur les passions. La passion est par sa nature injuste, partielle. La justice fait abstraction des individualités, elle est unipersonnelle – la passion est par excellence individuelle, partielle.
Radicalement anéantir la jalousie veut dire en même temps l’anéantissement de l'attachement personnel – en mettant à sa place un attachement pour le sexe. Mais ce n'est que l’ individuel, que le personnel qui nous plaît, qui nous entraîne, qui donne le coloris, le son, le sens, la passion. Notre lyrisme est un lyrisme personnel, notre bonheur et malheur – sont personnels Le doctrinarisme avec toute sa logique – nous relève aussi peu de nos peines – comme les «consolations» des Romains avec toute leur rhétorique. Il est impossible d'essuyer les larmes de tristesse près du cercueil et les larmes – emprisonnées – de lajalousie – heureusement il n'y aura besoin de le faire. A quoi on peut parvenir – et à quoi on doit parvenir – c'est que ces larmes coulent humainemen – purifiées de l'intolérance d'un moine, de la férocité d'un animal carnassier, de la rage d'un propriétaire volé qui se venge.
Réduire le rapport de l'homme et de la femme à une rencontre fugitive, momentanée, sans trace – est, il nous semble, au même degré impossible que de river un homme et une femme jusqu'à la tombe – dans un mariage indissoluble. Les deux cas peuvent se rencontrer dans les extrémités des relations sexuelles et matrimoniales – comme des cas particuliers, comme des exceptions – mais non comme norme. Le rapport de hasard cessera ou tendra à une liaison plus durable, le mariage indissoluble – à l'émancipation d'un devoir sans fin, à l'affranchissement d'une chaîne, peut-être volontairement acceptée – mais toujours une chaîne.
La vie protestait constamment contre ces deux extrêmes. L'indissolubilité dumariagea ete acceptee hypocritement ou sans s'en rendre compte. Une rencontre de hasard n'avait jamais d'investiture – on la cachait – comme on se vantait du mariage. Tous les efforts pour réglementer officiellement les maisons publiques – scandalisèrent l'opinion publique, le sens moral – nonobstant leur caractère de restriction. On voit dans la réglementation même une reconnaissance.
L'homme sain fuit également le cloître et le haras, la stérile abstinence du moine et l'amour stérile des courtisanes.
Pour le christianisme plein de contradictions entre le dogme et la pratique – le mariage est une concession, une faiblesse. Le christianisme tolère le mariage comme la société tolère le con cub in at. Le prêtre est élevé au célibat à perpétuité, – en récompense de sa victoire sur la nature humaine.
Rien d'étonnant que le mariage chrétien est sombre et triste, injuste et accablant – il restaure l'inégalité contre laquelle prêche l'évangile et rend la femme esclave de son mari. La femme est sacrifiée par rancune, l'amour (détesté par l'église) puni en elle, elle est sacrifiée par principe. – Sortant de l'église l’amour devient de trop, il cède la place au devoir. Du sentiment le plus lumineux, le plus plein de bien-être – le christianisme fait une souffrance, une douleur, un péché, une maladie. Le genre humain devait périr – ou être inconséquent. La vie ne cessait de protester.
Elle protestait non seulement par des faits – reniés par le faits – reniés par le repentir et les remords – mais par la sympathie et la réhabilition. Cette protestation commença au plus fort du catholicisme et de la féodalité.
Rappelez-vous l'existence sombre de ces temps poétisés de la chevalerie? – Un mari terrible, Raoul Barbe Bleu, armé jusqu'aux dents, jaloux, sans pitié, à côté un moine, aux pieds nus, fou par fanatisme, prêt à venger sur les autres ses privations, sa lutte mutile, – des écuyers, des geôliers, des bourreaux… – et quelque part dans un donjon ou une tourelle, dans une cave ou une oubliette – une jeune femme en larmes, le désespoir dans le cœur, un page enchaîné… et pas une âme qui s'en inquiète. Tout est inexorable dans ce monde, partout la force, l'arbitraire, le sang, l'esprit borné… et les sons nasillards d'une prière latine.
Mais derrière le dos du moine, du confesseur, du geôlier – complices du mari – sentinelles féroces de l'honneur du mariage, en compagnie avec les frères et les oncles de l’époux et de l’épouse… se forme la legende populaire, retentit la complainte – et s'en va d'un village à l'autre, d'un château à l'autre… avec le troubadour ou le minnesinger chantant les malheurs de la femme… la complainte est toujours pour elle. Le tribunal sévit – la chanson absout. L'église maudit l'amour hors du mariage, la chanson maudit le mariage sans amour. Elle prend cause et fait pour le page amoureux, pour la femme aimante, pour la fille opprimée – non par des raisonnements, mais par les larmes, par la compassion. La chanson populaire – c'est la prière laïque du peuple, l'autre issue dans sa vie de misère, de travail, de faim, d'angoisse. Les jours de fête après les lithanies à la Vierge – on pleurait les complaintes pour la malheureuse femme, que l'on n'attachait pas au pilori – mais pour laquelle on priait – et que l'on recommandait à protection et aide – de la Mater dolorosa.
Des chansons et complaintes – la protestation s'accrut peu a peu – en roman et drame. Dans le drame elle devient force. L’amour offensé, refoulé, les noires mystères de la vie de famille – ont acquis leur tribune, leur tribunal, leurs jurés. Les jurés du parterre et des loges – acquittaient toujours les personnes et accusaient les institutions…
Bientôt le monde commençant à se séculariser, soutenant le ariage – cède. Le mariage perd en partie son caractère relieux et acquiert une nouvelle force policière et administrative. Le mariage chrétien ne pouvait se justifier que par l'intervention d'une force divine – il y avait une logique en cela, login folle… mais conséquente. Le fonctionnaire de l'Etat qui met son écharpe tricolore et vous marie le code en main – est plus absurde que ne l'est le prêtre – officiant dans son costume sacerdotal, entouré de bougies, d'encens, de musique. La prenier consul Bonaparte lui-m