à leur mort naturelle – connaissant très bien que chaque enfant qu’on apportait dans les écoles à la N. Lanark – était autant de pris sur l’église et le pouvoir[730].
Plus loin.
Babeuf et R. Owen se rencontrent encore une fois dans leur insuccès, quoique leur sort tragique porte le cachet du même contraste que nous avons signalé.
Babeuf était guillotiné. Le monstre omnivore, allaité dans les tombes, où l’on avait jeté pêle-mêle les cadavres des Césars païens et des rois très catholiques, des prêtres et des chevaliers, – grandissait. L’individu – pâlit devant lui, s’effaça et disparut. Jamais sur le sol de l’Europe depuis les trente tyrans d’Athènes – jusqu’à la guerre de trente ans, et de là jusqu’à la révolution – l’homme n’a été si entièrement enlacé dans les filets de la police gouvernementale – si entièrement livréà l’administration qu’il ne l’а été par la centralisation.
R. Owen fut peu à peu pris par les eaux troubles et marécageuses – il se remuait autant <…>[731]
Qui donc gagnait lorsque les deux perdaient?
Vers le temps dans lequel les têtes de Babeuf et Dorthès tombaient dans le sac des bourreaux, et R. Owen demeurait avec un autre génie méconnu – plus pauvre encore que lui-même – Fulton, auquel il donnait son dernier argent – pour faire des modèles de machines par lesquelles le petit gnome pensait enrichir l’humanité, – vers ce temps un jeune officier montrait à des dames de sa connaissance sa batterie – pour être tout à fait aimable, il fit lancer quelques boulets (tout cela est raconté par l’officier lui-même); l’ennemi riposta, quelques hommes tombèrent, d’autres blessés – les dames étaient très contentes de la secousse nerveuse. L’officier avait un peu de remords – que les gens soient morts inutilement – mais bien peu.
Cela promettait… Et en effet le jeune homme à lui seul versa plus de sang humain que toutes les révolutions ensemble, consomma par les conscriptions plus d’hommes qu’il ne fallait d'écoliers pour Owen – pour régénérer le monde entier.
Iln’avait pas de système, il ne voulait pas de bien aux hommes et ne le feignait pas. Il ne voulait du bien que pour lui seul et par le mot de bien il ne comprenait que le pouvoir. Comparez à lui les deux nains – Babeuf et Owen… Son nom a suffi trente ans après sa mort – avait encore assez de prestige pour faire élire empereur un sien neveu.
Quel secret avait-il donc?
Babeuf voulait imposer le bien-être et décréter une république égalitaire.
R. Owen voulait éduquer l’homme – pour le rendre capable de s’organiser d’une manière intelligente.
Napoléon ne voulait ni l’un ni l’autre.
Il comprit très bien que sérieusement les Français ne désiraient ni le potage lacédémonien, ni les mœurs du temps des Brutus l’ancien, qu’ils sont loin à se contenter, pour tout plaisir – «de se réunir les jours de fête discuter les lois et enseigner les vertus aux enfants». – De l’autre côté il observa très bien qu’ils sont d’une humeur très belliqueuse. Au lieu de les empêcher à se ferrailler, ou leur prêcher les douceurs de la paix éternelle – Napoléon profita de cette manie – pour les lancer sur les autres peuples, allant à la chasse lui-même le premier. Il ne faut pas l’inculper de cela. Les Français seraient les mêmes sans lui – ils aiment avec passion le triomphe dans le sang, la victoire les grise. Cette sympathie entre Napoléon et la France explique l’amour par lequel elle l’entoura. Il n’était pas un reproche, un acte d’accusation – contre la masse – mais sa gloire splendide, il ne l’offensait point par sa pureté, ni par ses vertus, il ne présentait point en lui un idéal transfiguré devant ses yeux humiliés, il n’apparaissait pas comme un prophète fulminant, il n’enseignait rien, – il appartenait lui-même à la foule – et il lui montra elle-même, avec ses faiblesses et vices, avec ses passions et tendances – potentiés en un génie, couvert de gloire et de puissance. Voilà la cause de l’amour – touchant, tragique, ridicule que lui portait la masse, le peuple, même la bourgeoisie…
Et il n’est pas tombé parce que le peuple entrevit tout le vide de sa politique, qu’il était las de donner son dernier fils et de répandre pour lui des torrents de sang. Du tout. Il finit par ameuter contre lui d’autres masses qui s’armèrent avec acharnement pour la défense de leur propre tyran – la théologie chrétienne était satisfaite – de part et d’autre on se battait avec fureur – pour le salut de ses plus grands ennemis.
…On rencontre souvent à Londres une gravure qui représente la rencontre de Wellington avec Blücher – au moment où la victoire de Waterloo se prononçait pour eux – il m’est impossible de rencontrer cette gravure sans m’arrêter. Cette figure calme, toute anglaise, ne promettant rien de bon, d’un côté, et de l’autre – ce vieux lansquenet tedesque, borné, bonasse et féroce – se saluent mutuellement avec un plaisir qu’ils ne cachent point… Et comment ne pas être au septième ciel – ils détournèrent l’Europe du grand chemin dans une boue fangeuse – dans laquelle elle pataugera un demi-siècle… A peine le jour commence à poindre – l’Europe dort encore sans savoir que ses déstinées sont changées parce que Blücher vint à temps et Grouchy trop tard… Que de larmes, que de souffrances a coûté aux peuples cette victoire… et que de larmes et de sang leur aurait coûté la victoire de l’autre parti!
– Quel est donc enfin le résultat de tout cela?
– Qu’appelez vous résultat?.. – est-ce une sentence morale dans le genre de «Fais ce que dois – advienne ce qui pourra» ou une sentence profonde dans le genre «que de tout temps l’homme versait des larmes – et du sang». Comprendre – voilà le résultat, s'émanciper des représentations fausses – voilà la moralité.
– A quoi bon?
– Tout le monde maintenant crie contre le lucre et la concussion et vous demandez un pot de vin de la vérité. «La vérité est une religion, – dit notre vieillard Owen, – n’exigez rien d’elle qu’elle seule».
…Pour tout ce que nous avons souffert, pour les os brisés, pour l’âme foulée, pour les pertes, les erreurs… pour tout cela – au moins déchiffrer quelques chiffres mystérieux dans les livres Sibyllins, saisir tant soit peu le sens général – de ce qui se fait autour de nous mais c’est énorme!
Les jouets d’enfants que nous perdons ne nous suffisent plus en réalité, ils ne nous sont chers que par habitude – et il est vraiment temps de les reléguer dans le garde-meuble – tout ensemble – l’ogre et la force vitale, le conte du siècle d’or etla fable – du progrès infini, le sang bouillant de S. Janvier, la prière météorologique pour la pluie – et «la natura sic voluit!»
Le premier moment peut être rude – on se sent trop délaissé… Tout se meut, se précipite… on peut aller où l’onveut, ni barrière, ni guide, «ni administration». – Et bien, je présume que la mer faisait aussi peur aux hommes qui osaient s’avancer, mais dès qu’ils comprirent que tout ce va et vient des vagues n’a aucun but – ils prirent le chemin avec eux et traversèrent les océans dans le creux d’une noisette.
Sachant que la nature et l’histoire ne vont nulle part et à cause de cela sont prêtes à aller partout où l’on peut; sachant qu’elles se développent à fur et mesure – par une infinité de circonstances réagissant l’une sur l’autre, se heurtant, s’empêchant mutuellement et s’entraînant – l'homme loin de se perdre comme une graine de sable dans les Alpes – acquiert une énorme puissance. Il devient de plus en plus le pilote qui fend les vagues par sa petite nacelle faisant servir de voie de communication un abîme sans fond.
Sans programme, sans thème, sans but l’histoire – improvisation échevelée, qui se déroule sans gêne – offre à chacun ses pages pour intercaler son vers à lui – et qui restera le sien – pourvu qu’il soit sonore et le poème ne s’interrompe pas!
Partout sommeillent des mondes de possibilités. Elles peuvent dormir des millions d’années, ne se jamais réveiller – cela leur est indifférent – mais cela n’est pas indifférent à l’homme. Depuis que la foudre et la vapeur – passa de Jupiter tonons et pluviusà l’homme – regardez ce qu’il a fait de l’électricité et de l’eau acriforme. Le soleil parcourt depuis longtemps le ciel… un beau matin l’homme intercepta son rayon, fixa sa trace – et le soleil lui fait des portraits.
La nature ne lutte jamais contre l’homme, c’est une absurdité inventée par le spiritualisme. Elle n’a pas assez d’intelligence pour lutter. En faisant la tâche de l’homme – la nature continue sa manière d’existence. La première condition de dominer la nature – c’est de connaître ses lois et ce que fait l’homme – par rapport à la mer et aux autres éléments, mais dans l’histoire l’homme ne veut pas se gêner – tantôt il se laisse passivement entraîner par le torrent, tantôt il fait une irruption violente – criant l'Egalité ou la Mort!.. Au lieu d’étudier le flux et le reflux des vagues qui l’entourent et le rythme de leur vibration – pour se frayer des chemins infinis.
Nacelle, – vague et pilote à la fois, – sa position en effet est très compliquée dans le monde historique.
– Au moins s’il y avait une carte.
– Mais avec une mаре – Colomb ne pourrait découvrir l’Amérique.
– Pourquoi?
– Parce que pour figurer sur une mаре – il fallait que l’Amérique ait été découverte antérieurement. L’histoire et l’homme ne peuvent être pris au sérieux que dans le cas s’il n’y ait aucun plan prédestiné pour le développement. Si les événements étaient arrangés d’avance, et si toute l’histoire n’est que la réalisation d’un complot antéhistorique, prémédité, sa mise en scène – prenons alors des sabres en bois et des boucliers en papier mâché – pourquoi donc verser de v